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Exposition Afrique, la croisée des mondes

13 Novembre 2015

Le musée d’Angoulême nous a de nouveau reçus les 3 et 4 novembre, pour une visite adaptée et consacrée à l’exposition temporaire Afrique, la croisée des mondes. Divers objets, trop souvent qualifiés d’arts premiers, ont aimablement été mis à notre disposition par Émilie Falk, médiatrice au musée. Les arts africains portent en réalité l’empreinte indélébile des cultures qui ont traversé le continent : cultures intracontinentales, orientales et occidentales.

Tunique talismanique

Une vaste salle de 200 m² a été nécessaire pour pouvoir exposer les nombreux types d’objets rapportés du continent africain. La scénographie  de l’exposition est imperceptible pour nous, mais nous lui accordons un vif intérêt, puisque nous avons connu et n’avons rien oublié de la lumière, des couleurs et de leurs nuances. Le choix des murs peints en noir et d’un éclairage tamisé, précise Émilie Falk, accentue l’intensité des lumières projetées sur les œuvres les plus illustratives de l’exposition ; plus chatoyants encore semblent les rouges, les roses, les verts et les jaunes des wax suspendus, qui distinguent sans les séparer les quatre thèmes principaux de l’exposition : métissage intracontinental, pénétration de l’Orient et de l’Extrême-OLes wax.rient, rencontre avec l’Occident, l’art moderne africain en question.

Issues des propres collections du musée d’Angoulême, de collections privées ou prêtées par d’autres musées, les œuvres sont protégées par des vitrines et non accessibles au toucher. Munis de gants, nous avons néanmoins pu prendre entre nos mains de nombreux objets similaires, extraits des réserves du musée d’Angoulême. Aidé de Katya (chargée de la conservation préventive des collections), chacun a pu percevoir les formes, les sculptures et les matériaux utilisés.

Le tabouret appartenant aux regalia ashanti nous a ainsi livré son assise basse, soutenue au centre par un cylindre évidé percé de losanges, et quatre  pieds décorés de figures géométriques arrondies. Si l’on sait que ce genre de mobilier est sculpté dans le même bloc de bois, chercheurs et spécialistes n’ont pas su à ce jour déterminer de quelle essence il s’agissait. Ce tabouret est en outre l’illustration du métissage artistique intracontinental dans les régions de la Côte d’Ivoire et du Ghana actuels, par des « phénomènes d’emprunTabouret ashanti.ts et de traditions artistiques partagées » [1]. En effet, le don d’insignes royaux par les Ashanti contribuait à l’assimilation culturelle des populations voisines.

L’importante collection d’amulettes africaines léguée au musée d’Angoulême provient d’une zone géographique beaucoup plus étendue, qui va de l’Afrique occidentale jusqu’à Djibouti, en passant par le Congo et le Soudan. Recueillies à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, elles datent peut-être d’une époque plus ancienne. Ni de trèfle à quatre feuilles ni de fer à cheval ; c’est par exemple aux cornes d’animaux, aux coquillages ou aux peaux de serpents que les populations de religion animistes confèrent un pouvoir protecteur. En témoigne ce fragment de corne d’antilope associé à des cories et monté en pendentif que nous avons pu examiner, avec l’aide précieuse de Katya et d’Émilie. Il était plus aisé de distinguer, accrochés à une lanière, les petits cabochons de cuir carrés ou en forme de goutte ou d’amande ; mais nous n’aurions pas su reconnaître seuls les composants du fermCollier d'amulettesoir du collier : nœud, cordelettes et cabochon lestant la fermeture. Si nous avons perçu les coutures des divers éléments gainés de cuir, nous ne pouvons qu’émettre des suppositions quant à leurs contenus : autres restes animaliers, fibres végétales, minéraux…

Les amulettes constituent à elles seules une illustration parfaite de l’influence de l’islam apporté dès le VIIIe siècle par les Perses sur les côtes africaines orientales. En effet, des extraits du Coran  écrits sur tout type de support (pliage, cuir, corne), ont souvent été glissés dans les contenants pour affermir le pouvoir des amulettes. « Véritable syncrétisme, les écritures religieuses ajoutent à l'efficacité des artefacts d'origine naturelle ou empruntés au monde moderne, ouvrant à l'infini le champ des possibles formels » [2]. Toute personne, quels que soient son sexe, son âge ou son statut, peut porter sur elle une ou plusieurs amulettes. Toutefois, « les anciens propriétaires » des tuniques talismaniques présentées au musée, « de ces objets très coûteux, sont des politiciens, des lutteurs, des militaires, des entrepreneurs, des guérisseurs traditionnels et des marabouts » [3]. Des enfants venus visiter l’exposition ont comparé la multitude d’objets cousus sur l’une des tuniques à « des carrés de chocolat », comparaison qu’Émilie a judicieusement reprise pour que nous nous représentions l’ensemble de la parure.

La rencontre avec les Européens a eu lieu dès la fin du XVe siècle, alors que les Portugais (bientôt suivis des AngPoids Akan (motifs géométriques et scarabée).lais, des Français et des Hollandais) débarquaient sur les côtes du Ghana et de la Côte d’Ivoire, attirés par les gisements aurifères du territoire des Akan. Les poids à peser la poussière d’or et les pépites, dont nous avons touché plusieurs modèles, ont été utilisés par les Akan lors des transactions économiques avec les Européens et jusqu’au XIXe siècle. Géométriques et décorés de motifs parfois islamiques pour les plus anciens, figuratifs pour les plus récents, les poids akan sont essentiellement composés de laiton et fondus à la cire perdue. Ils obéissent à un système pondéral dont on n’a pas encore réellement établi de correspondances avec le système occidental, d’autant plus que ces objets avaient aussi une fonction de proverbes, de dictons et de devises que seuls les initiés akans savaient décrypter. Seuls, nous n’aurions pas su appréhender les poids zoomorphes parfois minuscules, et distinguer l’oiseau de l’antilope, ou le crocodile du scorpion.

Lors de l’exposition En pays Fali en décembre 2012, nous nous rappelons qu’Émilie Falk nous avait présenté divers perlages, dont des pagnes fort ressemblants à celui que  nous avons touché dernièrement : un maillage de perles fines, réparties en bandes verticales et de couleurs différentes. Si les premiers perlages africains étaient réalisés à partir de coquilles d’œuf d’autruche, de coquillages ou de graines, ils ont très vite adopté les perles de verres initialement fabriquées à Murano ou à Venise, puis copiées par de nombreux pays européens. Considérées comme une marchandise de pacotille par les exportateurs, les perles de couleurs ont fasciné les populations africaines qui parfois en ont paré leurs vêtements pour marquer leur appartenance à un lignage ou à une communauTissage de perles.té. Mais ce que nous devons retenir, c’est l’élan de créativité qui en a résulté sur l’ensemble du continent.

Nous n’avons pas eu la possibilité de toucher les ivoires afro-portugais, ni d’admirer les divers wax colorés de l’exposition, authentiques témoins de « la croisée des mondes ». Rappelons-nous néanmoins que ces cotonnades originaires d’Indonésie ont été apportées par les Arabes en Afrique du Nord, puis introduites par des commerçants en Afrique Subsaharienne dès le Xe siècle. Au XVIe siècle, ce sont les Portugais installés sur la Côte de l’or qui vont approvisionner le continent africain en tissu, grâce aux réseaux commerciaux qui les relient à l’Asie. Aussi peut-on considérer que « l'Afrique de l'Ouest vit la mondialisation depuis 500 ans » [4]. Les Portugais ne tarderont pas à être supplantés par les pays européens concurrents, dont les Hollandais, qui de nos jours fabriquent eux-mêmes et exportent les wax aux motifs géométriques, considérés comme hautement symboliques de l’Afrique.

Le christianisme ne s’est vraiment implanté qu’à la suite des déstructurations sociales entraînées par la colonisation du continent à la fin du XIXe siècle. Le crucifix sénoufo « conservé dans les collections du musée d’Angoulême, témoigne d’une réinterprétation plastique de la figure du Christ et à travers elle d’une pratique vraisemblablement syncrétique du culte chrétien. Il est certes dans la position du crucifié mais semble juste posé contre la croix, sans fixation apparente. Il est nu, longiligne, arbore une coiffure en crête,  éléments caractéristiques de la statuaire sénoufo » [5].

À l’exception de collections telles que celle des objets rapportés par Jean-Gabriel Gautier du pays Fali, les spécialistesReliquaire kota. historiens d’art ne sont pas en mesure d’assurer l’authenticité des œuvres présentées, compte tenu d’une documentation quasiment inexistante. Chacun est alors en droit de se demander si les œuvres ont réellement été utilisées dans un contexte historique, social ou religieux, ou si elles ont été fabriquées ou copiées dans un but exclusivement mercantile. Tel est surtout le cas pour les objets rapportés du continent africain pendant les dernières années de l’époque coloniale. Néanmoins, là n’étaient pas nos interrogations alors que nous examinions le masque gardien de reliques kota (de la région du Gabon actuel). En bois plaqué de laiton, ce type de figures a surmonté pendant plusieurs siècles le panier où les Kota conservaient les ossements d’un de leurs ancêtres. Géométriques, stylisées, disproportionnées, les formes que nos mains percevaient ont prestement ravivé quelques toiles cubistes endormies dans nos mémoires.

Claudine.

Références au catalogue de l’exposition :
1. Page 21. 2. Page 72. 3. Page 73. 4. Page 92. 5. Page 116.