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Le musée nous accueille au castrum d'Andone

30 Mars 2015

Le musée d’Angoulême nous a présenté, grâce à une sélection de vestiges issus de fouilles archéologiques, une reconstitution partielle de la vie quotidienne des comtes d’Angoulême autour de l’an 1000, dans leur résidence fortifiée d’Andone. Or, pour les déficients visuels, la découverte tactile requière toujours du temps et beaucoup de concentration. Émilie Falk, médiatrice au musée, a donc préféré nous recevoir en trois groupes au cours du mois de mars.

Pancarte: le castrum d'Andone

Il ne subsiste plus rien de cette petite forteresse érigée sur la butte d’Andone, à Villejoubert, à moins de 20 kilomètres au nord d’Angoulême, et en limite de la forêt domaniale de la Boixe. Le castrum d’Andone fut probablement établi par Arnaud Manzer, fils illégitime de Guillaume II Taillefer, dans la seconde moitié du Xe siècle ; occupé à partir de 975 environ, il sera abandonné entre 1020 et 1028 par Guillaume IV Taillefer, fils d’Arnaud Manzer.  Le castrum d’Andone n’a donc pas connu les évolutions qui ont transformé d’autres résidences fortifiées au fil des années. C’est précisément de son existence éphémère qu’il tire son intérêt majeur : le castrum d’Andone est l’illustration de la vie quotidienne de l’aristocratie à une époque courte et déterminée du Moyen-âge.

Le musée d’Angoulême a accueilli dans ses réserves les milliers de pièces résultant des fouilles réalisées sur le site d’Andone par André Debord [1] entre 1971 et 1995, puis reprises et publiées par Luc Bourgeois [2]. Nos accompagnateurs ont pu s’attarder devant une longue vitrineCruches reconstituées, où sont exposés les objets reconstitués ou les mieux conservés, parfois rejetés en leur temps dans les dépotoirs du site. Malvoyants ou non voyants mais néanmoins amateurs ou passionnés d’histoire, quelque peu frustrés de ne pouvoir découvrir la vitrine de nos propres yeux, nous avons bénéficié des abondants commentaires et précisions d’Émilie Falk, alors que circulaient de mains en mains fragments de poteries en terre cuite, outils en bois de cerfs, pions de jeux de tables…

Nous n’avons pas su déterminer la matière de ce lourd polissoir de pierre très dense, à la surface à la fois lisse et granuleuse ; mais les cruches et les vases exposés, comme le fragment de terre cuite que nous avons touché montrent toute son efficacité. La terre cuite sert à la fabrication de nombreux objets : lampes, trompes d’appel, cruches diverses sobrement décorées… Les innombrables pots de cuisson retrouvés, de formes simples,  ont amené Émilie Falk à commenter les habitudes alimentaires au sein du castrum d’Andone.

Les occupants de cette résidence, centre d’un domaine rural, se nourrissent essentiellement des céréales cultivées hors de l’enceinte  et de l’élevage. Les ossements mis au jour attestent d’une importante consommation de viande d’animaux élevés sur le site : viande de porc, bœuf, mouton, volaille et paon, animal de prestige. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer en raison de la proximité de la forêt, on ne consomme guère de gibier au castrum. Il ne représente que 4 % de l’alimentation.

Cependant, certainsReconnaissance du bois de cerf produits de la chasse sont précieux, en particulier les bois de cerfs, utilisés pour la fabrication d’outils. Nous avons parfaitement distingué les formes d’une hache habilement creusée pour recevoir son manche. Les bois de cerfs et les os sont aussi mis à profit pour fabriquer des pièces d'arbalètes, des jeux de tables ou des plaquettes décoratives  de coffret, comme il en est exposé dans la vitrine du musée.

La chasse, tout comme l’équitation apanage de l’aristocratie,  « constitue un véritable loisir de plein air pour des chevaliers souvent confinés dans les châteaux. Elle représente aussi un substitut de la guerre, permettant aux hommes de prouver leur vaillance » [3]. Compte tenu du coût et de la valeur symbolique des armes de guerre, on peut supposer que ces pièces, quasiment absentes des vestiges, ont été emportées lors de l’abandon de la forteresse. Par ailleurs, il serait erroné d’assimiler le castrum d’Andone à un pavillon de chasse : les objets retrouvés liés à la chasse sont aussi étroitement liés à l’équitation. La vitrine, nous précise Émilie Falk, compte également plusieurs éléments tels que fragments de mors, éperons dont certains à pointe décoré d’étain, étrilles, fers d’ânes ou à chevaux. L’abondance d’objets en fer parmi les vestiges d’Andone témoigne de la maîtrise de la métallurgie et du ferrage des équidés, apparu au Xe siècle seulement.

Élevage, agriculture, poterie, forge, travail des bois de cerfs et des os, serrurerie, huisserie et dans une moindre mesure élaboration de la laine, telles sont des activités dont les fouilles ont révélé l’exercice sur le site d’Andone. Bien que les occupants soient avant tout des chevaliers, la présence d’activités artisanales et agricoles laissent supposer qu’Andone abritent une population et des statuts sociaux très mélangés.Ferrures et plaquettes décoratives

C’est à l’endroit qu’occupait le bâtiment résidentiel qu’on a découvert la plupart des pièces de tabletterie. Nous n’aurions pas su, sans l’aide d’Émilie Falk, reconnaître les décors des pions des jeux de tables, motifs géométriques ou animaux du bestiaire fantastique ; nous nous sommes toutefois rappelés la présence de ces quadrupèdes aux ailes déployées dans les sculptures romanes de notre région. Les jeux de tables (ancêtres du trictrac et du backgammon), sont eux-aussi un apanage de l’aristocratie, tout comme le jeu d’échecs qui est, en outre, un autre substitut de la guerre par son caractère stratégique. « Le castrum d'Andone a livré un roc (tour) et deux pions en bois de cerf et en os, qui comptent parmi les plus anciens exemplaires actuellement connus au nord des Pyrénées » [3].

Si notre visite au musée nous a donnés un aperçu de la vie des Taillefer et de l’ensemble de l’aristocratie à la charnière des Xe et XIe siècle, il reste difficile pour nous, déficients visuels, d’appréhender l’architecture des bâtiments du castrum et leur organisation. Mais nous retenons toutefois que cette modeste forteresse s’inscrit dans un espace de 2000 m², de forme ovale, entouré de murs pouvant dépasser 10 mètres de hauteur et atteindre 2 mètres d’épaisseur, couronnés d’un chemin de ronde crénelé, et percés de deux portes d’accès. Nous comprenons que le bâtiment résidentiel, situé sur la partie haute du site, constitue « le cœur de la vie sociale aristocratique ; il est l'ancêtre des donjons qui se développent sur une plus grande hauteur à partir de cette époque » [3]. Il comprend en particulier, à l’étage, une vaste salle de réception et les chambres des nobles. Certains imagineront, dans la partie basse, les artisans affairés à leur tâche, les bâtiments de service donnant sur la grande cour, grouillante de vie  et traversée par quelques chevaux amenés à l’écurie ou chez le maréchal-ferrant…

Avec Guillaume IV Taillefer, le conflit armé qui opposait son père à l’évêché de Jarnac s’apaise. Andone perd alors toute fonction de contrôle sur les résidences épiscopales, et donc une part de son intérêt stratégique. Les pierres du castrum abandonné seront utilisées pour les constructions de la nouvelle résidence comtale de Montignac, à quelques kilomètres seulement. Mais, comme le souligne Luc Bourgeois, le castrum d’Andone restera « un témoin important de la genèse du château médiéval » ; un témoin fossilisé par mille ans d’histoire.

Claudine.

1. André Debord (1926-1996), professeur à l’Université de Caen.
2. Luc Bourgeois, auteur de Une résidence des comtes d'Angoulême autour de l'an mil : le castrum d'Andone (Villejoubert, Charente). Publication des fouilles d'André Debord (1971-1995), CRAHM de  Caen, 2009.
3. Extrait de Andone, archéologie d'un château des comtes d'Angoulême autour de l'an mil, par Luc Bourgeois, en vente au musée d’Angoulême.