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Brecht en audiodescription au théâtre d'Angoulême.

23 Février 2015

Avec la bonne âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht mise en scène par Jean Bellorini, le théâtre d’Angoulême vient à nouveau de programmer une pièce audio-décrite. Nous étions sept personnes déficientes visuelles de notre comité AVH à avoir réservé un casque audio pour la soirée du 13 février dernier. L’audiodescription réalisée par l’association Accès Culture [1] a largement contribué à notre enthousiasme pour le spectacle.

Le théâtre d'Angoulême

Afin d’offrir une audiodescription d’excellente qualité, Accès Culture a choisi de nous faire entendre un enregistrement effectué au préalable. Le casque audio, gracieusement mis à notre disposition par le théâtre, nous transmet, sans interférer sur les dialogues,  la description de tous les éléments visuels : décors, costumes, gestuelle et déplacements des acteurs. Il nous est possible de régler l’intensité du son, sans que les autres spectateurs entendent les indications données. Deux voix, l’une féminine et l’autre masculine, nous ont accompagnés tout au long de La bonne âme du Se-Tchouan ; leur alternance a permis en outre de raviver le discours et de stimuler notre attention.

Nous saisissons ainsi que « dans le Se-Tchouan, une province reculée de la Chine, des dieux en voyage cherchent une bonne âme qui accepte de les loger pour la nuit. Seule Shen Té, la prostituée, accède à leur demande. En guise de récompense, ils lui donnent de l’argent, mais pour la jeune femme, le cadeau signe le début des ennuis. Passant de l’autre côté de la misère, elle va aussi devoir l’affronter » [2].

Par expérience, nous savons que les bruits extérieurs sont parfois susceptibles de rendre l’audiOn teste le fonctionnement du casqueodescription inaudible. Mais  en cette soirée du 13 février, la pièce retient l’attention de tous les spectateurs, et le calme règne dans la grande salle du théâtre. L’audiodescription se révèle donc particulièrement compatible et d’autant plus utile pour nous imaginer le petit débit de tabac appartenant à Shen Té, ou le déguisement qu’elle utilise pour apparaître sous les traits de son cousin.

Ce fut pour tous « un excellent moment », ont déclaré les spectateurs déficients visuels comme leurs accompagnateurs à la fin du spectacle, bien que ce moment ait duré trois heures et quart. « Cela fait du bien de passer une soirée différente », « une soirée dépaysante » ont ajouté Paul et Arlette, séduits sans doute par le cadre du Se-Tchouan, exotique au premier abord, et par un style de théâtre inhabituel. Avec des intermèdes chantés, des panneaux affichant des maximes, des apartés adressés aux spectateurs, La bonne âme du Se-Tchouan est une illustration parfaite du théâtre atypique mais aussi didactique de Bertolt Brecht.

Sollicité, interpelé, le spectateur est invité à porter un regard critique sur une narration, à « faire travailler ses neurones » résument Alain et Bernadette. Contrairement au théâtre dramatique, les acteurs racontent plus une histoire qu’ils n’incarnent des personnages, et le spectateur n’est pEn attendant le cousin de la mariéeas enclin à s’identifier à l’un d’eux. Néanmoins, « comme souvent avec Bertolt Brecht, la fable racontée est une métaphore dans laquelle chacun peut reconnaître un peu de sa propre existence » [2]. Selon Bertolt Brecht lui-même, « la province du Se-Tchouan de la fable représentait tous les lieux où des hommes exploitaient d’autres hommes ».

« C’est un thème universel qui fait réfléchir » souligne Bernadette. Écrite alors que le fascisme sévit en Europe, la pièce n’a rien perdu de sa force. En proie à la misère et à la faim, le Se-Tchouan est le reflet d’un monde  où les êtres humains peuvent aussi bien faire preuve de bonté et d’altruisme, que de médiocrité et de convoitise ; l’argent qui les a opprimés un jour finit par les séduire et les corrompre plus tard. Shen Té, la bonne âme du Se-Tchouan, ne peut être elle-même, vivre en ne faisant que le bien ; elle doit faire alors appel à Shui Ta, son alter ego masculin,  et se corrompre à son tour pour se libérer des pressions exercées sur elle.

La question de l’identité sexuelle chez l’être humain est également et à d’autres reprises évoquée dans La bonne âme du Se-Tchouan. Cependant, tout spectateur comprendra dans un premier temps la pièce comme une critique du système capitaliste et de la religion. Les trois dieux porteurs de morales et apparemment bien intentionnés, se donnent eux-mêmes bonne conscience en récompensant Shan Té de son accueil par de l’argent. Apparaissant leWang, le marchand d'eau plus souvent dans les rêves de Wang, le porteur d’eau, s’enquérant auprès de lui du devenir de Shen Té, les dieux sont ou absents, ou spectateurs d’un monde où les hommes doivent se débrouiller seuls. C’est ainsi qu’en épilogue, Brecht lance au public : « où est la solution ? Même avec de l'argent, nous n'avons rien trouvé ! Fallait-il quelqu'un d'autre ? Ou bien un monde autre ? Ou alors d'autres Dieux ? Ou pas de Dieu du tout » ?

« On n’a pas vu le temps passer », se sont étonnés plusieurs d’entre nous. De nombreux aspects de la pièce y ont contribué : l’adresse directe au public, le va-et-vient entre parler populaire et langue littéraire, les répliques parsemées d’humour, les paroles versifiées de Shen Té, la narration parfois chorale… «  La musique et les chants qui ponctuent le spectacle sont des respirations bienvenues, pour tout spectateur bien sûr, mais encore plus pour les spectateurs déficients visuels qui doivent faire un effort particulier de concentration », explique Brigitte.

La musique, a confié Jean Bellorini, est « une musique originale, composée sur les paroles des chansons de Brecht dans un esprit populaire et joyeux, comme des rengaines d'aujourd'hui. (…) Elle est difficile à définir alors même qu'on cherche à inventer un style. Il s'agit de rester dans la poésie. De rester simple » tout en faisant se cotoyer les extrêmes : «  d'un coté un arrangement d'une berceuse pour dix-huit xylophones, de l'autre La Tempête de Beethoven ».

Madame Mi Tsu, la propriétaireC’est entre autres parce que la mise en scène de Bellorini est tout aussi atypique que l’écriture de Brecht, que La bonne âme du Se-Tchouan a été, pour Monique et Maurice, « un genre de spectacle qui fait aimer le théâtre ». Mais nous aurions tous été moins enthousiastes sans le soutien de  l’audiodescription : c’est elle qui nous rend compte qu’avec Bellorini, « le plateau se colore, s’anime, s’emballe et devient un espace où le théâtre prend des allures de joyeuse fête foraine » [2].

La forte augmentation des programmes télévisés diffusés en audiodescription a sensibilisé un large public à cette technique relativement nouvelle.  Elle se développe actuellement dans le cadre des spectacles vivants : en France et en 2013-2014, l’audiodescription a accompagné près de deux cents représentations d’une grande diversité (opéras, concerts ou pièces de théâtre) ; Accès Culture travaille en partenariat avec plus de soixante théâtres et opéras. Pour un meilleur avenir, laissons la parole aux souffleurs d’images [3].

Claudine.

[1].  www.accesculture.org. « L’association Accès Culture propose des aides techniques permettant aux personnes aveugles, malvoyantes, sourdes, malentendantes d’assister à des représentations de théâtre, de danse ou d’opéra de manière autonome ».
[2]. Extrait de la plaquette du théâtre d’Angoulême.
[3]. Il n’est pas fait ici référence à l’association du même nom, mais à l’ensemble des professionnels de l’audiodescription.