Contenu technique pour le fonctionnement du site

 
 

Au musée d'Angoulême, entendre les œuvres d'art

18 Septembre 2013

Entre les 10 et 16 septembre 2013, le musée d’Angoulême célébrait ses cinq ans de réouverture et présentait ses différents partenariats. Ainsi nous avons été conviés, en tant que personnes déficientes visuelles et membres du comité AVH de la Charente, à confronter la perception que nous avions des deux œuvres décrites à celle de personnes voyantes.

Découverte tactile de la statue

Rappelons qu’en 2009, le musée d’Angoulême a obtenu, à égalité avec le musée des beaux-arts de Nancy, le premier prix d’accessibilité « musée pour tous ». Depuis, notre musée n’a de cesse de travailler non seulement à l’accessibilité pour tous, mais aussi à la connaissance pour tous.  Les célébrations du cinquième anniversaire de réouverture étaient l’occasion, entre autres, de mettre en valeur différents partenariats, dont celui du Comité AVH de la Charente.

Notre comité était représenté par deux groupes de trois personnes déficientes visuelles et leurs accompagnateurs bénévoles, pour une visite qui s’est déroulée sur deux jours : le 10 septembre avec Émilie Falk, animatrice au musée, et le 14 septembre avec Marion Cornebise, autre animatrice. Des personnes voyantes, sollicitées par voie de presse ou par le programme distribué aux abonnés, nous ont rejoints.

Comme cela a été souligné en préambule à la visite, il n’était nullement question que les personnes voyantes feignent la cécité ou la mal voyance. Point de visite dans le noir ni de bandeau sur les yeux, contrairement aux tendances actuelles. Les personnes voyantes ont tout simplement été conviées à tourner le dos aux œuvres durant la description qu’en faisaient les animatrices, de façon à ce que tous les visiteurs reçoivent les mêmes informations de base. Les œuvres présentées avaient tout spécialement été sorties des réserves du musée.

L'attente, tableau de Marcel RiederPour tous, il était dans un premier temps nécessaire d’écouter attentivement la description organisée, précise mais non exhaustive de L’attente, un petit tableau (46 cm sur 38 cm) de Marcel Rieder, et daté des années 1930. Puis les visiteurs ont exprimé leurs interprétations nombreuses et variées du tableau, leurs impressions et leurs sensations. Des compléments à la description ont été demandés à propos du personnage de la femme représentée, de la disposition des objets, et plus particulièrement des éclairages du tableau. Portraitiste à ses débuts, Marcel Rieder est devenu célèbre pour les effets de lumière de ses nombreuses scènes d'intérieur, dont L’attente est un exemple très représentatif.

Œdipe et Antigone, une sculpture du charentais André Juin et datée de 1925 environ, avait aussi été sélectionnée pour notre visite. Nous remercions le musée de nous avoir autorisés à toucher la sculpture. La perception et la découverte en ont été nettement améliorées. C’est sous nos mains que s’est concrétisée la description de l’œuvre. Les formes, les détails du visage et des vêtements des personnages, les matériaux, l’association des styles réalisée par le sculpteur, les reliefs du socle en bois, tous sont devenus plus compréhensibles au toucher. Cependant, nous n’aurions pu apprécier cette sculpture sans qu’elle nous soit décrite, sans les rappels sur la mythologie grecque, sans les précisions sur le style art-déco associé au style Renaissance.

Les personnes voyantes tournent le dos à l'œuvre.Des personnes voyantes ont exprimé leur difficulté à se concentrer sur la description des œuvres. Certaines étaient même tentées de fermer les yeux pour que rien ne fasse diversion. Une accompagnatrice, pleine de bonne volonté, a voulu se prêter au jeu et tourner le dos aux œuvres. Mais la tentation de se retourner et de regarder lui ont rapidement fait faire volte face.

D’autres visiteurs ont mis l’accent sur la nécessité indispensable de mémorisation chez les personnes déficientes visuelles, en l’occurrence de la description des œuvres. Certains ont pris conscience de la difficulté d’effectuer une description destinée à des personnes mal et surtout non voyantes. Quel serait le moyen de traduire à une personne aveugle l’exigence de Marcel Rieder quand il affirmait : « un tableau d’une chute d’eau est bien fait quand on entend l’eau couler » ?

Nous aurions souhaité que les visiteurs insistent sur la différence de toute appréhension chez les personnes aveugles ou mal voyantes. Quand les personnes voyantes se sont retournées pour découvrir le tableau, nous espérons qu’elles ont pris conscience qu’aucune description, aussi minutieuse soit-elle, ne parvient à restituer l’exacte réalité chez une personne déficiente visuelle ; que les personnes aveugles ne peuvent que se référer à leur imaginaire, et que l’appréhension de tout objet, de toute couleur ou de toute expression en résulte.

Nous sommes étonnés que la perception tactile des personnes mal et non voyantes n’ait pas suscité plus d’intérêt. Qui d’entre nous ne s’est pas entendu dire par une voix assurée, « chez vous, le sens du toucher a dû se développer » ? Assurément, il aurait été intéressant de préciser que contrairement aux personnes voyantes, ce sont nos doigts, mais aussi la plante de nos pieds, la partie extérieure de nos membres, notre peau, que nous utilisons non pas pour voir, mais pour percevoir et nous repérer.

Néanmoins, des échanges entre personnes voyantes et handicapées visuelles ont eu lieu en apparté, et nous considérons que par le biais de notre visite, un pas de plus a été réalisé dans l’approche de la déficience visuelle. Nous en sommes reconnaissants auprès d’Émilie Falk et de Marion Cornebise, qui en plus de nous transmettre leurs connaissances, ont adapté autant que faire se peut leurs descriptions à notre handicap.